Annie Préaux : à propos des « Tulipes du Japon » d’Isabelle Bielecki, publié aux éditions MEO

Ce roman est un cadeau, un bonheur pour ses lecteurs, en particulier pour ceux qui aiment les jardins, les fleurs, les arbres, leur voluptueuse caresse sur la peau, l’esprit et le cœur. Toute la vie d’Elisabeth en est semée, depuis le délicieux jardin du couvent où ses parents la déposent à l’âge de quatre ans jusqu’aux pâquerettes d’un parc de Bruxelles, capitale où elle mène sa vie de cadre. Une vie difficile qu’elle ne peut s’empêcher d’animer d’élans – comme celui d’embrasser Miura après l’offrande des pâquerettes – et parfois d’anecdotes savoureuses, de verres de vin, de rires. Les tulipes, elles, seront les complices de ses amours clandestines et si délicieuses avec le fameux Miura, son chef japonais. Il y aura aussi les chrysanthèmes déposés – pour elle ? – au bureau, et, plus tard, bien plus tard, le grand sapin qui l’observera à travers la fenêtre, quand elle craindra d’être licenciée.

Sur la Table de nuit d'Annie PréauxLes arbres et les fleurs sont cependant bien loin d’être le thème d’une histoire à l’eau de rose, car celle d’Elisabeth est rude. Ses parents, russo-polonais, rescapés des camps nazis, restent marqués par leur vécu : sa mère la bat violemment depuis sa petite enfance jusqu’à ce qu’elle fuie dans un mariage qui ne la comblera jamais ; son père la défend mollement ; tous deux ont une vie difficile de réfugiés, en porte-à-faux avec la communauté des Russes blancs exilés en Belgique – il est communiste.

Son mari, Emile, ne lui apporte aucun bonheur. Seul, Miura, tout en retenue et discrétion, lui offre la joie merveilleuse de la volupté partagée, de la complicité sans parole, de la jouissance délicate d’une incroyable harmonie. Mais il est marié et elle sait qu’il sera un jour appelé à rentrer au Japon. Au moins, trouvera-t-elle la force de divorcer en partie grâce à ce qu’elle vit avec lui.

Sur la Table de nuit d'Annie PréauxMais une fois Miura retourné définitivement dans son pays, le parcours sentimental de cette femme pleine d’une certaine rage de vivre et d’un immense besoin de sensuelle tendresse, ne sera pas exempt de pièges et de déceptions. Toutefois, sa fierté, sa force de caractère et son sens de la résistance l’aideront à tracer sa route. Et puis, il y aura sa fille devenue grande et leur dialogue plein d’amour et d’honnêteté : éclat de lumière au milieu de l’indifférence des uns et de la malveillance des autres. Tout cela avec, en toile de fond, la jungle du monde des affaires, un monde d’hommes où Elisabeth continuera de mener son combat de femme, diplômée et hyper compétente, mais est-ce suffisant pour que ses supérieurs hiérarchiques, nippons en exil provisoire, la respectent comme un être humain à part entière ? Sa confrontation avec son dernier chef notamment n’est pas sans rappeler certaine stupeur et certains tremblements.

La fin pourrait être dramatique, mais Elisabeth a en elle une ressource cachée, quelque chose qui sourd comme une source claire : son goût pour les mots qui disent les choses, parfois au travers d’images et parfois sans détour, telles qu’elles sont. L’écriture, fût-ce celle d’un rapport pointilleux et exhaustif, peut sauver parfois…

Annie Préaux